La plupart des Soudanais ne perçoivent plus leur salaire depuis le début de la guerre. L’entraide prime, sans permettre aux rescapés de vivre décemment.
Fin mars, Razan Badr a reçu sa rémunération. Cette enseignante auxiliaire dans une institution éducative privée de Khartoum a exercé ses fonctions jusqu’au 15 avril, jour des premières confrontations armées entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) – une milice créée pendant le régime dictatorial militaro- islamique d’Omar el-Béchir et devint au moins aussi efficace que les troupes régulières.
“À tour de rôle, en alternance avec d’autres employés, nous avons tenté de joindre la direction. Cependant, les responsables ont coupé leur téléphone et ont quitté le pays. Ils finiront par nous rémunérer, mais nous ignorons quand, peut-être d’ici deux ou trois ans…”, exprime la jeune femme, résignée. Que ce soit des fonctionnaires ou des travailleurs du secteur privé, la majorité des Soudanais sont actuellement privés de ressources financières. Pendant ce temps, le conflit continue de causer des pertes humaines. Selon un décompte temporaire, l’ONG Acled (Armed Conflict Location & Event Data) répertorie près de 5 000 victimes dans l’espace de quatre mois.
Les dernières finances de l’État soutiennent le conflit.
« Les militaires sont quasiment les seuls à être encore rémunérés, souligne Hafiz Ismail, ancien banquier et directeur de l’ONG Justice Afrique Soudan. Les institutions gouvernementales sont complètement à l’arrêt. Les bureaux et les banques sont fermés. L’État n’a plus de revenus puisque la plupart des activités économiques sont suspendues. Les autorités utilisent les dernières ressources disponibles pour financer la guerre. »
La solidarité s’organise, sans assurer des conditions de vie décentes aux rescapés des affrontements qui se prolongent notamment dans le centre-ville de Khartoum et au Darfour. Quelques semaines après les premières détonations, Razan Badr, sa mère et ses deux sœurs cadettes ont pris la direction de la modeste demeure de leurs proches, à Wad Madani. Située à 200 kilomètres au sud-est de la capitale, cette cité est pour l’heure épargnée par les combats.
Des lectures de médicaments et de douleur
Digoo Mohmed, 19 ans, vient d’arriver à Wad Madani. Actif dans un comité de résistance de Khartoum, ces antennes prodémocratie réparties sur l’ensemble du territoire, cet étudiant en ingénierie électrique s’est mué en héros local depuis le début de la guerre. Il livrait bénévolement des médicaments à vélo, en dépit des bombardements latents, et cuisinait pour ses voisins grâce aux dons.
Jusqu’à ce que son engagement le rend suspect aux yeux des FSR, qui visent, tout comme l’armée, les militants. À deux reprises, les miliciens ont séquestré et battu le jeune homme. En pleine convalescence, il cherche à présenter une source de revenus. Car ses parents sont toujours dans la capitale, refusant d’abandonner leur foyer aux griffes des FSR et autres bandits. « Tous les obstacles se dressent en travers de la route des survivants de Khartoum », résume le révolutionnaire, à bout de forces.
La menace de l’État islamique
Désespérés et vulnérables, ces citoyens livrés à eux-mêmes constituant des recrues faciles pour les deux camps. Plus inquiétant encore, les agents de l’État islamique rôdent maintenant à visage découvert sur le sol soudanais. Malgré son extrême dangerosité, la traversée clandestine vers l’Europe via la Libye porte également de plus en plus de candidats.
D’après l’Organisation internationale pour les migrations, quelque 24,7 millions de Soudanais ont besoin d’une aide humanitaire urgente. Et le chercheur Hafiz Ismail de prévention : « L’économie s’est totalement efffondrée. D’énormes efforts devront être déployés pour la restaurer après la guerre. » Le conflit semble néanmoins s’enliser. Ce chaos a convaincu Razan Badr de fuir la sombre destinée de sa nation. Dès qu’elle aura réuni le somme nécessaire, elle s’exilera dans un pays du Golfe.
Francisca Ndika